Je vous partage, cette lettre que j’ai eu l’envie, le besoin d’écrire à l’occasion des 33 ans de R. mon fils.
Pourquoi s’exposer ainsi, partager notre intimité, livrer nos difficultés et aussi nos bonheurs, pour une raison toute simple. En tant qu’accompagnante en parentalité, c’est important pour moi que vous en connaissiez un peu plus sur moi, car souvent il peut se créer un hiérarchie entre un thérapeute, coach et l’accompagné. L’accompagné peut de façon illusoire croire que le professionnel a tout réussi dans l’éducation de ses propres enfants et qu’ils va vous filler les clés de la réussite. Et bien, ce n’est pas tout à fait ça, mon expérience personnelle m’a permis, en plus de la formation certifiante en parentalité, de comprendre beaucoup de mécanismes qui sont à l’action entre les parents et les enfants, de les avoir expérimentés, d’avoir tâtonné tant et plus, d’avoir changer d’avis, de méthode, de m’être perdue.
Une chose est certaine nos enfants sont nos révélateurs. Cette expérience me permet, d’être à l’écoute, dans le non jugement et de pouvoir vous proposer un regard extérieur à 360° et des pistes de réflexions pour élaborer vos propres actions et solutions.
Le 27 juin 2024
33 ans en ce jour anniversaire si précieux à mes yeux et à mon cœur.
Tu étais prévu vers le 10 juillet et tu as été provoqué le 27 juin veille de grands congés et semaine d’affluence à la maternité, oui tu as été sorti de force pour des raisons d’organisation de planning. Voilà une sacrée arrivée sur terre.
Ce jour-là, il n’y avait aucune chambre de disponible, tu es arrivé à 16h27 et nous avons été emmenés dans le bureau d’un médecin en attendant une chambre. Nous étions installés sur un lit de camp à 10cm du sol, mes fesses touchaient le carrelage pendant que je te donnais tes premiers repas et que je recevais les premières visites.
Vers 23h00, nous avons enfin été déplacés dans une chambre double, une chambre « d’opérés » qui ne disposait pas du nécessaire lié à la maternité. Nous étions seuls. Dans la nuit, nous avons été rejoins par une autre maman et son bébé.
C’était un jeudi jour de pleine lune, les jours suivants après avoir pris une douche rapide au fond du couloir, oui il n’y avait pas non plus de salle bain dans cette chambre juste un évier, je te confiais déjà à la surveillance de notre colocataire de chambre quelques minutes, le temps de me rafraîchir, et je t’emmenais ensuite au sous-sol, à la pouponnière pour te donner ton bain.
A l’époque nous étions sensés rester 7 jours entourés de soins et d’attention médicaux, entretemps ton papa a dû rejoindre sa caserne pour terminer ses examens, persuadé qu’il était de rentrer à temps pour nous ramener à la maison.
Le dimanche en fin de journée soit 3 jours entiers après ta venue sur terre, le corps médical nous a invité à libérer la chambre, il devait y avoir une file d’attente pour cette chambre, c’est ta grand-mère qui nous a ramené à la maison.
Voilà pour ton arrivée dans ce monde, j’ai envie de dire quel accueil ! et peut mieux faire !
Tu as grandi beaucoup trop vite, je ne t’ai pas vu grandir trop occupée que j’étais à réussir dans la vie.
A 3 mois, j’ai repris le boulot à Bruxelles, debout à 5h00, livraison chez la gardienne à 7h00, train de 7h29. Le soir j’arrivais à la gare vers 18h00 quand le train était à l’heure, soit je te reprenais chez la gardienne, soit ton papa t’avait récupéré et je rentrais à la maison. Il est plus de 19h00 quand le souper se termine et c’est l’heure du bain, du biberon et dodo pour toi. Je m’écroule au lit chaque soir vers 22h00 et on recommence chaque jour, chaque semaine ce rythme effréné.
Entre tes 3 mois et 2 ans et demi tu auras eu 3 gardiennes différentes, problèmes de places, d’hygiène et éducatifs. Lorsque tu étais malade, une de tes grand-mères était toujours active et travaillait, l’autre était loin géographiquement (là où je vis actuellement), il est arrivé que ce soit ton arrière-grand-mère (bonne-maman) qui approchait les 80 ans qui se portait volontaire dans ces situations. Tu t’en souviens, tu m’en parlais encore il y a peu.
Lorsque tu as commencé l’école maternelle, nous avons eu de la chance car la personne qui s’occupait de la garderie t’accueillait chez elle avec beaucoup d’attention et d’amour pour t’emmener ensuite à l’école. Oui la garderie n’était pas ouverte à l’heure où je devais prendre le train.
Les choses ont évolué par la suite j’ai changé de travail et géographiquement j’étais plus proche pour pouvoir te reprendre à la garderie de l’école plus régulièrement.
Ensuite tu es entré en 2ème primaire dans une nouvelle école, là tu as vécu une année difficile, victime de harcèlement qui n’a pas été compris par le corps enseignant auquel nous faisions confiance ton père et moi. Et moi j’avais de plus en plus de mal de ne pas être avec toi et de te récupérer en fin de journée, je garde une image forte dans ma tête même après toutes ces années, l’image de toi, assis par terre, dans le couloir de l’école qui m’attendait, la mine triste et mutique.
A l’époque je vivais aussi des choses difficiles, abus, harcèlement et manipulation au travail que j’avais quitté du jour au lendemain, pour en prendre un autre, j’ai traversé une dépression quelques mois plus tard. Ce jour-là, où je t’ai vu assis par terre, cela a été un déclic, il fallait que je trouve une solution pour être plus présente et disponible.
La solution s’est présentée à 50 m de ton école et c’est là que je me suis lancée comme indépendante en reprenant un magasin de vêtements de marques c’était le 1er juin 1999. Je n’y connaissais rien et encore moins dans les grandes marques, ce que j’aimais le plus c’était quand l’heure de la fin des cours avait sonné, je me mettais sur les marches pour te voir arriver et t’aider à traverser. Cette année-là, nous avons fêté ton anniversaire (8 ans) en pleine braderie avec Papou, Manou et ton papa on se relayait pour partager avec toi ton gâteau d’anniversaire. De cela aussi tu m’en reparles souvent, de la solitude que tu as ressenti à ce moment, tu me dis souvent que tu te sentais seul et je l’entends. Nous avions des petites habitudes, comme le « merveilleux » de 16h00, que nous mangions, et les mercredis midi où nous retournions diner à la maison après avoir choppé un paquet de frites chez « Isabella ».
Cela a duré 5 ans jusqu’en juillet-août 2004, 5 années où tu me rejoignais chaque jour au magasin. De mon côté j’ai adoré ces moments-là. Même si tenir un magasin de fringues n’était pas mon rêve ultime, savoir que tu n’étais pas à la garderie, que tu étais près de moi malgré le petit espace de l’arrière-boutique cela me rassurait.
Entretemps, en juin 2002 un autre tsunami est venu te bousculer puisque j’ai quitté ton papa le lendemain de ta communion pour nous installer quasi en face du magasin, cela a duré 6 mois et ensuite ton papa nous a rejoins une paire d’année, le temps de faire construire notre maison et de repartir ensuite. Je crois que c’était en 2005, il y avait 6 mois que nous avions emménagés dans notre nouvelle maison.
A l’époque, le magasin était toujours en activité, j’avais une vendeuse car j’avais rejoins en 2004 le cabinet de la Ministre à Bruxelles.
En 2005 tu avais 15 ans et nous vivions une véritable tempête émotionnelle, financière, organisationnelle. Quand je regarde en arrière, je ne sais pas aujourd’hui comment j’ai fait pour tenir, car oui je croyais que je devais tenir, maintenir le plus d’équilibre possible surtout financièrement. Et comme j’avais très peu de temps entre le boulot entre Bruxelles et Namur et toutes les foires aux boudins, le magasin, les collections, la braderie, les soldes, les finitions et l’entretien de la maison, il y avait Toi mon fils, toi qui vivais pratiquement seul dans ton coin toutes ces émotions et moi qui tentait de porter à bout de bras nos vies ou nos survies.
J’étais entrée dans un mode robot, levée 5h30 départ de la maison 6h30 max, et retour à pas d’heures. J’ai le souvenir que nous échangions des mails à l’époque il devait être vers 22h00 et j’étais toujours à Bruxelles bon pas tous les jours mais assez régulièrement. Le matin du boulot, j’appelais les voisines au téléphone pour m’assurer que tu avais pris le bus pour te rendre à l’école, j’ai appris bien plus tard que finalement tu y allais à pied car le bus était complet lorsqu’il arrivait à ton arrêt. Tu ne me parlais pas beaucoup à cette époque et moi je ne t’accordais que de l’organisationnel et les repas c’est tout ce dont je disposais comme temps.
Je perdais pieds et donc je suis devenue très contrôlante à ton égard, je retrouvais tes devoirs et tes interros dans tes bd, aux réunions de parents je m’entendais régulièrement dire que je travaillais trop. Tu devais déjà faire le deuil du couple de tes parents notre relation s’étiolait, était conflictuelle, elle l’a été très longtemps.
Nous avons encore déménagé et j’ai liquidé le magasin et j’ai encore changé de boulot après un premier burn out ou le 2ème si on remonte fin des années 1990. Là encore aujourd’hui tu me partages régulièrement ton trauma lié aux nombreux déménagements que tu as subit et je l’entends et le comprends.
Nous nous sommes accrochés, tu t’es accroché, on a fait comme on a pu et du mieux qu’on a pu. Peut-être que j’aurais pu faire autrement avec les connaissances que j’ai aujourd’hui, mais ces connaissances sont arrivées avec toutes ces expériences.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, je n’ai aucun regret ni remord. A tes côtés même lors de nos nombreuses confrontations, j’ai continué à grandir, à vouloir comprendre et trouver des solutions pour qu’on s’apaise. Malgré tout cela, nous sommes restés liés au-delà de tout ce qui aurait pu nous séparer.
Nous avons beaucoup tremblé, mais nous sommes toujours là debout, grâce à toi j’ai continué à grandir à tes côtés, et je suis mais tellement, tellement fière de la personne que tu es, de tout ce que tu as transformé, de tes idées novatrices, de ton courage, de ta lucidité, de ta clairvoyance. Fière de l’homme que tu construits chaque jour et incarne malgré le manque de présence d’un père.
Aujourd’hui je te souhaite un très bon anniversaire pour tes 33 ans, et au-delà, je souhaite te remercier, pour ta patience, ta compréhension, ta présence discrète mais bien réelle. Nous avons fini par nous apprivoiser, par apaiser nos blessures, avec la seule volonté de l’amour qui nous uni à jamais.
Love U my son.
Mam’s